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Des hommes contre la prostitution
et pour l'égalité

Ni pute, ni traditions par Gérard Biard

De Gérard Biard,
Ce texte est un digest des articles « Ni pute, ni pute » et « Tapin et traditions »,
parus dans les numéros 983 (20 avril 2011) et 1047 (11 juillet 2012) de Charlie Hebdo

La terreur envahit les rues chaudes. Les michetons rasent les murs, les gagneuses sont au chômage, les julots ne peuvent plus vivre du pain de fesse, les flics n’ont plus d’indics, la place Pigalle est transformée en no man’s land, Audiard et Simonin se retournent dans leur tombe, c’est Paname qu’on assassine…

Pas de panique, messieurs, ce scénario d’apocalypse n’est encore qu’à l’état de projet. Certes, la ministre des Droits des femmes a bien dit dans le JDD — et répété dans Marianne — qu’elle voulait pénaliser les « clients » et voir « disparaître » la prostitution, lançant par la même occasion le premier débat miné du quinquennat. Mais, pour l’instant, on ne peut que juger l’intention, qui est d’inverser la charge pénale et d’aborder le problème de la prostitution non plus sous l’angle de l’offre, majoritairement féminine, mais sous celui de la demande, majoritairement masculine.

Bien sûr, comme ne cessent de le marteler les lobbyistes du Strass, le Syndicat du travail sexuel, on peut considérer que la prostitution n’est pas un problème, mais un métier comme un autre, exercé par des adultes consentants qui font ce qu’ils veulent de leur corps. Dans ce cas, il faut aussi considérer que le proxénète est un patron comme un autre. Car, dans le grand marché très rentable du sexe globalisé, la prostitution est d’abord et surtout une affaire de réseaux, de lieux mis sous coupe réglée, de trafics humains et de femmes pas toujours adultes, très rarement consentantes, souvent dressées à coups de seringue, et dont le corps est loin de leur appartenir.

La réalité de la prostitution, ce ne sont pas les « indépendantes », qui au mieux représentent 10 % des personnes prostituées, mais le bétail humain qu’on n’entend jamais, et, surtout, qu’on refuse de voir.

Selon le Strass, il y aurait deux sortes de prostitutions, à surtout ne pas confondre : une prostitution « organisée », orchestrée par les trafiquants de chair humaine, que l’on doit combattre bien-entendu-c’est-évident-vous-pensez-bien-c’est-un-scandale, et une prostitution « traditionnelle », qui relève du libre droit à disposer de son corps.

Il y aurait donc, comme pour l’agriculture, une prostitution industrielle, exercée par des malheureuses élevées en batterie sous la contrainte de proxénètes OGM et sous la coupe de réseaux mondialisés, et une prostitution « traditionnelle », moulée à la louche et bio-équitable, garantie par le label Mac Havelaar, où des prostituées « consentantes » s’ébattent en libre parcours… Penchons nous un instant sur cette fameuse prostitution à l’ancienne, celle du bon temps des « maisons » et des tapineuses à papa, et voyons ce qu’en écrit un spécialiste, peu soupçonnable d’avoir été une taupe abolitionniste : Alphonse Boudard. Dans La Fermeture, qui retrace la belle aventure des joyeux bordels d’avant-guerre, avec ses prostituées « haut de gamme » des luxueux One-Two-Two et autre Sphynx qui étaient envoyées en punition dans les maisons d’abattage des faubourgs, où les « africaines » faisaient des passes à la chaîne sur des paillasses immondes, Boudard nous fait bien comprendre que la traite et le proxénétisme ne sont pas l’exception, mais la règle de la « profession ».

Le chapitre « Histoire succincte de la galanterie et de ses maisons d’accueil depuis l’âge de pierre jusqu’à l’ère de la bourgeoisie absolue » n’est qu’un long défilé d’« entremetteurs », de « ruffians », de « maquignons », de « tenanciers », de « souteneurs », de « tauliers », de « placiers », de « maquereaux », de « julots casse-croûte »… Au fil des âges, le proxénète change de nom, mais pas d’activité. La première phrase du chapitre ne laisse d’ailleurs place à aucune ambiguïté : « Qui fut le premier maque… la première pute ? » L’une ne va pas sans l’autre, y compris dans les modernes années 70/80 : « Toutes les estimations parlent de 90 à 95 % de filles protégées. Du haut en bas de l’échelle… depuis les hôtesses de luxe qui laissent entre 40 et 50 % de leur bénéfice aux organisateurs du réseau jusqu’aux filles des rues de Budapest, Joubert, Blondel, etc, qui sont toujours maquées dans la vieille tradition de la comptée ».

Il n’y a pas une prostitution « organisée » et une prostitution « traditionnelle ». La prostitution est organisée.

Aujourd’hui, on punit le viol, on punit les violences sexuelles, mais on devrait accepter la violence de la prostitution, pour la simple raison qu’il s’agit d’une transaction commerciale ? L’argent purifierait l’acte ? Curieux argument… Quant aux quelques filles qui décident de se prostituer parce qu’elles peuvent gagner en une journée ce qu’elle gagneraient en un mois si elles étaient caissières, ne devrait-on pas, plutôt que de trouver ça follement libertaire, s’interroger sur le salaire des caissières ?

Il est en effet illusoire de s’imaginer qu’une loi, quelle qu’elle soit, puisse régler le problème. Mais le rôle du législateur n’est pas de régler des problèmes, il est de dire ce qui est tolérable ou non dans une société. Aucune loi n’a jamais éliminé le meurtre ou le vol, personne ne songe pour autant à les légaliser… Il n’est pas scandaleux, 160 ans après l’abolition de l’esclavage, d’envisager de responsabiliser pénalement celui qui loue, ne serait-ce que dix minutes, le corps et l’intimité d’une esclave. Ce que sont, dans l’écrasante majorité des cas, les prostituées.